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Prince du Fleuve Congo
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3 mars 2008

Médecins congolais : débrayer ou ne pas débrayer, that is the question.

Par Anthony Katombe

Kinshasa, Route du Flambeau, à la hauteur de

la Bralima

, une jeune, grande et belle dame au teint clair attend son taxi. A son niveau, je m’arrête, son visage me dit quelque chose. Elle se penche : ‘‘Boulevard ?’’. Je la taquine : ‘’Pour vous, ce sera dix mille francs, grande dame’’. Elle sourit : ‘‘Je ne suis qu’un médecin’’. Elle monte à bord et me tend la main : ‘‘Dr Charly, pédiatre’’. Je serre sa main avec plaisir : ‘‘Anthony Katombe, avec mes hommages les plus vibrants, grande dame’’.

On roule pendant une minute sans se parler et le docteur rompt le silence : ‘‘On se connaît, nous deux, non ?’’ Je la regarde : ‘‘Si, c’est pourquoi je me suis arrêté’’. Chacun récite son quartier, son école primaire, son université, ses amis, ses parents,… mais on ne se rappelle toujours pas où et comment on a fait connaissance. ‘‘Que faites-vous alors dans la vie ?’’, me demande le docteur. ‘‘Je survis, en bon Kinois’’. Elle éclate de rire.

Elle se rend chez un distributeur des produits laitiers où elle intervient dans un séminaire sur l’enrichissement de lait pour nourrissons. Ca y est, c’est là qu’on doit s’être vu. Je lui confie que je fais de temps à temps le consultant pour le compte de cette société. Son visage s’éclaire, le mien aussi.

Elle regrette que le bouchon ne lui permette d’être à son séminaire à temps et prend son mal en patience en me parlant, pendant cinq bonnes minutes de son mari, de ses enfants, de son métier. Non seulement qu’elle est belle, mais elle s’exprime aussi très bien. Mais quelque chose me chiffonne : ‘‘Mais pourquoi dites-vous que vous n’êtes que médecin ? Médecin, c’est quand même la crème de la société, non ?’’

Elle me regarde pendant un bon moment et demande : ‘‘Avez-vous appris que les médecins étaient en grève ?’’. J’acquiesce de la tête. Puis, elle me confie qu’il y a eu beaucoup trop des morts pendant cette grève et qu’ils ne savent plus s’ils doivent encore débrailler. Elle fustige l’attitude du gouvernement qui a passé sous silence cette catastrophe et m’avoue qu’ils font maintenant face à un véritable problème de conscience. Est-ce moral de leur part de continuer à réclamer leurs droits à un gouvernement visiblement insensible avec un moyen qui envoie des compatriotes à une mort massive ? 

‘‘D’autre part’’, continue-t-elle, ‘‘Avec une longue grève, nous craignons d’exposer nos syndicalistes à la pression du pouvoir qui alterne contre eux menaces et propositions d’argent’’.

Aux dernières nouvelles, Charly a appris qu’un ordre de paiement aurait été signe en faveur des médecins, mais qu’il se serait perdu à elle ne sait quel niveau.

Dans le sens inverse, de l’autoradio d’une jeep grand cherokee jaillit à grand volume les sons d’une musique congolaise. Au volant, une jeune fille presque nue trépigne et mâche avec insouciance son chewing-gum. ‘‘C’est ma voisine’’, me dit Charly. ‘‘Elle est danseuse. Comme vous voyez, elle roule dans une grosse jeep. Vous croyez que je suis bien placée pour la conseiller de rentrer aux études, moi qui ne suis même pas en mesure, avec mon gros diplôme, de m’acheter une simple R4 ?’’.

C’est plus que je ne peux tenir. Heureusement pour moi, Charly fait d’abord une escale au niveau des galeries présidentielles. Avec soulagement, je la vois descendre de la voiture.

Débrayera, débrayera pas ? That’s the question.

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